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L'invité :
Philippe Dessertine

Economiste et Directeur de L’institut de Haute Finance

Philippe Dessertine, Economiste et Directeur de l’Institut de Haute Finance

Quelles sont, d’après vous, les conséquences économiques de la guerre en Ukraine ?

C’est une crise que nous subissons de plein fouet. Elle aura des conséquences très lourdes sur la croissance mondiale, et pas seulement européenne, parce que ce conflit a déséquilibré le système économique global. En particulier sur deux points extrêmement sensibles : la question des ressources énergétiques et celle des ressources alimentaires car on s’aperçoit qu’il y a aujourd’hui des risques de famine qui peuvent se révéler dangereux. Selon le FMI ce risque concerne 45 pays pauvres à échéance de six mois.

Devons-nous craindre un risque d’inflation ?

L’inflation survient quand la masse monétaire est trop importante par rapport au PIB, entraînant une baisse de la valeur de la monnaie. Le danger c’est d’avoir une masse monétaire qui augmente trop fortement ou trop vite, que cette monnaie n’ait pas son équivalent en termes de création de richesse et donc in fine que nous perdions confiance dans la valeur de l’argent. On était déjà dans cette situation depuis à peu près 30 ans, car l’Occident émet trop de monnaie, sous forme de dettes, par rapport à la création de richesse. Dès 2019, la banque mondiale alertait sur un « stock de dette beaucoup trop lourd pour le PIB ».

Puis il y a eu le COVID, si bien qu’au lieu de pouvoir ajuster notre masse monétaire, on a cessé de créer de la richesse. Et non seulement on n’a pas restreint notre masse monétaire mais on a adopté la politique du « quoi qu’il en coûte », ce qui signifie qu’on a émis de la monnaie pour permettre à l’économie de tourner artificiellement. S’il y a de la liquidité partout, on n’a plus besoin d’investir et donc on se tourne vers des valeurs refuges, comme la pierre, l’or ou les bitcoins. C’est ce qui est terrifiant avec l’inflation : si je n’ai plus confiance dans la monnaie, je ne produis plus de richesse. Donc il y a une masse monétaire conséquente et moins de richesse en face, ce qui correspond à la spirale de la « stagflation ». Il y a plusieurs facteurs inflationnistes aujourd’hui, dont les pénuries de matières premières, les pénuries d’énergie, ou les pénuries de main d’œuvre. Donc il y a une sorte de cycle qui se met en place et qui s’autonourrit. Et la guerre en Ukraine ajoute encore aux tensions inflationnistes.

Quelles perspectives voyez-vous pour sortir de ce cycle inflationniste ?

Si on était dans une situation « normale », comme dans les années 90 ou 2000, ça serait très inquiétant car il y a une telle bulle de liquidité qu’il serait difficile de la dégonfler. Cela ressemble au scénario qu’on est en train de vivre, mais il y a un élément fondamental qui, paradoxalement, va nous conduire à être « optimistes », c’est le dérèglement climatique. Car c’est la grande perspective de notre époque. Le dérèglement climatique impose de mettre en place de nouveaux systèmes. Quand il y a un nouveau modèle, on a une nouvelle valeur qui apparait. Ça a été le cas par exemple lors de l’arrivée des automobiles. La monnaie se déplace vers les nouvelles perspectives de création de valeur. Avec le dérèglement climatique, on voit bien la migration de la monnaie vers cette logique de nouveau modèle, correspondant à une évolution absolument nécessaire et urgente du fonctionnement de l’humanité.

Pourquoi parle-t-on de nouveau modèle ?

Dans l’histoire de l’économie, depuis la révolution industrielle, nous avons enchainé de très fortes phases de croissance avec de fortes phases de crise. Nous étions depuis 2007 dans une phase de crise on s’attendait donc logiquement à une nouvelle phase de croissance. Je crois plutôt que le COVID a conclu un « super cycle » de 250 ans, c’est-à-dire le cycle associé à l’économie industrielle. L’industrie avait remplacé l’agriculture et correspondait à une croissance démographique qui a amené une population jeune à consommer des produits physiques. Mais aujourd’hui la population ne croît plus par le nombre de naissances mais par le fait que nous mourrons de plus en plus vieux. Et plus on vieillit, plus l’activité économique est une activité de service. Le nouveau modèle qui est en train de se mettre en place valorise de plus en plus le service, qui représente déjà aujourd’hui 75% du PIB. Nous sommes dans une révolution du système économique non seulement parce que nous en avons besoin pour apporter une réponse au dérèglement climatique, mais aussi parce qu’elle correspond à l’évolution de la population mondiale.

Alors qu’est-ce que cela veut dire lorsqu’on est investisseur ?

A court terme il faut se prémunir contre l’inflation donc se tourner vers les actifs qui n’y sont pas sensibles ou qui peuvent la suivre. Mais sur le plus long terme, il faut regarder sur quoi la création de valeur s’oriente. Aujourd’hui on recherche de la finance d’impact, de la finance dans laquelle on achète de l’information extra-financière. C’est un problème pour l’Europe, qui n’a pas du tout cette culture. Alors pour entrer dans ce nouveau système, l’Europe a pris des décisions radicales, à commencer par la Taxonomie qui permet de décider avec des critères stricts d’impact si on va financer ou non un projet. La Taxonomie européenne met donc la finance au cœur de cette transition vers un nouveau modèle. Le système est en train de se rééquilibrer entre création de monnaie et création de nouvelle richesse.

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